Les « opérations propreté » lancées par la municipalité d’Amiens sous l’impulsion de Brigitte Fouré et reprises pour son hériter imposé illustrent une approche spectaculaire mais fondamentalement déséquilibrée de la gestion urbaine. En transformant le nettoyage ordinaire de la ville en événements extraordinaires médiatisés, cette politique révèle les carences structurelles d’un système qui privilégie la communication à l’efficacité durable. L’analyse des pratiques d’autres collectivités françaises démontre qu’une approche quotidienne, moderne et discrète de la propreté urbaine constitue la véritable solution pour offrir aux Amiénois un cadre de vie de qualité constante, sans folklore ni mise en scène.
Une politique de communication plutôt qu’une gestion efficace
La nouvelle formule des « opérations propreté » révèle une approche troublante de la gestion municipale où l’ordinaire devient extraordinaire. Tous les quinze jours, la municipalité mobilise jusqu’à cent agents pour transformer le nettoyage d’un quartier en véritable spectacle médiatique. Cette démarche, qui se déroule sur trois à quatre jours avec la présence du maire dans son « camion Bonjour monsieur le maire », transforme un service public de base en opération de communication politique. Le maire lui-même présente ces interventions comme des réponses aux « irritants du quotidien », reconnaissant implicitement que le service normal de propreté ne fonctionne pas.
Cette approche soulève des questions fondamentales sur l’organisation des services municipaux. Pourquoi faut-il mobiliser massivement les équipes pour nettoyer « intensivement les rues, entretenir les différents espaces verts, rénover la voirie, principalement les trottoirs, et le mobilier urbain, collecter les encombrants et objets recyclables, désherber les trottoirs et effacer les tags signalés, vérifier et entretenir l’éclairage public » ? Ces missions relèvent normalement du fonctionnement quotidien des services techniques. La nécessité de les regrouper en « opérations coup de poing » tous les quinze jours témoigne d’une désorganisation structurelle où l’entretien courant n’est plus assuré correctement.
Le caractère événementiel de ces opérations, avec distribution de courriers aux habitants, présence du maire et mise en scène médiatique, détourne les agents de leurs missions quotidiennes. Cette concentration ponctuelle des moyens crée mécaniquement des périodes où les autres quartiers sont délaissés, générant un service à deux vitesses inacceptable pour les Amiénois. L’investissement supplémentaire de 1,1 million d’euros annoncé pour ces opérations aurait été plus judicieusement utilisé pour renforcer les équipes permanentes et améliorer l’équipement quotidien.
Les limites structurelles de l’approche « coup de poing »
L’approche par « opérations propreté » présente des défauts structurels majeurs qui compromettent l’efficacité du service public. Le rythme de quinze jours entre les interventions signifie qu’un quartier attend potentiellement plusieurs mois avant de bénéficier à nouveau d’un nettoyage approfondi. Cette périodicité inadaptée aux réalités urbaines laisse s’accumuler les problèmes et génère une dégradation progressive du cadre de vie entre les passages. Les irritants du quotidien évoqués par le maire ne peuvent être traités efficacement par des interventions si espacées dans le temps.
La mobilisation massive d’agents sur quatre jours consécutifs dans un seul secteur prive le reste de la ville d’un service normal. Cette concentration des moyens crée des déséquilibres flagrants dans le traitement des quartiers et nuit à l’équité territoriale que doivent garantir les services publics municipaux. Les Amiénois des secteurs non concernés par l’opération du moment subissent une dégradation du service pendant que d’autres bénéficient d’un sur-service temporaire. Cette approche va à l’encontre des principes de continuité et d’égalité du service public.
Le caractère spectaculaire de ces opérations masque mal l’absence d’une stratégie cohérente de propreté urbaine. En se concentrant sur des actions visibles et médiatisables, la municipalité néglige les aspects moins spectaculaires mais essentiels de l’entretien urbain : la maintenance préventive, le traitement régulier des points noirs, l’optimisation des tournées de nettoyage. Cette approche réactive plutôt que proactive conduit à des interventions coûteuses en urgence au lieu d’un entretien préventif plus économique et efficace.
L’efficacité prouvée des modèles de propreté quotidienne
Les exemples d’autres collectivités françaises démontrent l’efficacité supérieure d’une approche quotidienne et professionnelle de la propreté urbaine. La Métropole de Lyon, qui gère 4 327 km de voies et 10,5 millions de m² de trottoirs, a développé un système de nettoiement basé sur la régularité et la proximité. Cette approche privilégie un service continu adapté aux spécificités de chaque secteur, avec des interlocuteurs dédiés à chaque commune pour maintenir un dialogue permanent avec les élus et les habitants. Le réseau « Propreté des grandes villes » mis en place par Lyon témoigne de l’expertise développée dans ce domaine et de la volonté de partager les bonnes pratiques.
La ville de Bordeaux illustre aussi l’efficacité d’une gestion différenciée et quotidienne de la propreté. Le balayage y est effectué une à deux fois par jour dans les secteurs les plus fréquentés, avec un lavage plusieurs fois par semaine adapté aux besoins réels de chaque zone. Cette approche modulée permet d’optimiser les ressources tout en garantissant un niveau de propreté constant. La rue Sainte-Catherine, la place de la Victoire ou les quais bénéficient d’un traitement intensif quotidien, tandis que les secteurs résidentiels reçoivent un service adapté à leur fréquentation. Cette différenciation intelligente contraste avec l’approche uniforme et épisodique d’Amiens.
Une ville propre résulte d’un travail de fourmi quotidien, pas d’opérations spectaculaires. Les brigades « Urgence Propreté » parisiennes et touquetoises, qui interviennent avec des véhicules électriques pour traiter les urgences signalées, montrent comment répondre efficacement aux besoins ponctuels sans perturber le service général. Cette capacité de réaction rapide, intégrée dans un système quotidien robuste, offre une alternative crédible aux coups de poing amiénois.
Propositions pour une propreté quotidienne et durable à Amiens
La transformation nécessaire de la politique de propreté amiénoise doit s’inspirer des meilleures pratiques observées ailleurs tout en s’adaptant aux spécificités locales. La première priorité consiste à abandonner le système actuel d’opérations ponctuelles pour revenir à un service quotidien professionnel et discret. Cette transition nécessite une réorganisation complète des équipes, permettant aux agents de développer une connaissance fine de leur territoire et d’établir des relations de proximité avec les habitants et les commerçants.
L’organisation doit s’inspirer du modèle bordelais avec une différenciation claire des interventions selon les zones. Le centre-ville historique, les abords des écoles, les secteurs commerçants et les quartiers résidentiels requièrent des fréquences et des modalités d’intervention adaptées. Cette approche modulée permet d’optimiser les ressources tout en garantissant un service équitable à tous les Amiénois. La mise en place d’un système de tournées optimisées, comme celui développé par la Communauté de Communes de la Vallée du Garon avec ses outils de géolocalisation et de suivi en temps réel, améliorerait significativement l’efficacité opérationnelle.
La modernisation des équipements et des méthodes constitue un axe majeur d’amélioration. L’investissement dans des véhicules électriques, des équipements de désherbage mécanique et des systèmes de récupération d’eau permettrait d’améliorer l’efficacité tout en réduisant l’impact environnemental.
L’instauration d’un dialogue permanent avec les Amiénois, sans mise en scène ni folklore, constitue un enjeu essentiel. L’exemple de la plateforme de signalement développée par la CCVG, qui permet aux habitants de signaler les problèmes via un formulaire en ligne avec géolocalisation automatique, offre un modèle de participation citoyenne efficace. Cette approche, complétée par des mairies de secteur renforcées et des permanences régulières des élus, permettrait de maintenir un lien de proximité sans transformer le service public en spectacle. La création d’un numéro vert dédié et d’une application mobile, sur le modèle parisien, faciliterait les signalements tout en permettant un suivi transparent des interventions.
Vers une vision renouvelée de la propreté urbaine
La propreté urbaine doit retrouver sa véritable nature : un service public quotidien, efficace et discret, au service du bien-être des habitants. L’abandon des opérations propreté spectaculaires au profit d’un système professionnel permanent constitue un enjeu de crédibilité pour l’action municipale. Cette transformation nécessite une vision politique claire qui place l’efficacité du service avant la communication, le quotidien avant l’exceptionnel, la compétence avant le spectacle.
L’expérience d’autres villes françaises démontre qu’il est possible d’offrir aux habitants un cadre de vie de qualité constante sans recourir à des mises en scène médiatiques. La Métropole de Lyon, Bordeaux, Paris ou encore des collectivités plus modestes comme Suresnes ou Aurillac prouvent que l’excellence en matière de propreté urbaine résulte d’une organisation rigoureuse, d’équipements adaptés et d’équipes motivées. Ces exemples inspirants montrent la voie pour redonner à Amiens le service public de qualité que méritent ses habitants.
La véritable modernité en matière de propreté urbaine ne réside pas dans la multiplication des opérations de communication mais dans l’adoption des meilleures pratiques professionnelles, l’investissement dans des équipements performants et le développement d’une culture de service public d’excellence. C’est cette vision exigeante et pragmatique qu’il convient de porter pour redonner à Amiens une propreté digne de son patrimoine et de ses ambitions. Les Amiénois ne veulent plus d’un service public transformé en spectacle : ils veulent une ville propre chaque jour, naturellement et efficacement.