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Hortillonnages : mon courrier au Préfet pour un accès équitable à notre patrimoine

Je partage avec vous mon courrier adressé au Préfet concernant le projet de règlement des Hortillonnages qui envisage d’interdire les paddles et kayaks.

Si la préservation de ce joyau naturel est essentielle, une interdiction générale serait juridiquement contestable et socialement injuste, privant de nombreux Amiénois, notamment les jeunes et familles modestes, de l’accès à ce site exceptionnel.

Je défends une approche fondée sur la pédagogie plutôt que l’interdiction, avec des solutions concrètes : immatriculation gratuite, horaires adaptés, règles de bonne conduite…

Les Hortillonnages doivent rester un bien commun, accessible à tous dans le respect de règles partagées, et non le privilège de quelques-uns.


 

Objet : Observations sur le projet de règlement particulier de police de la navigation dans les Hortillonnages d’Amiens

Monsieur le Préfet de la Somme,

Je me permets de vous adresser ce courrier en ma qualité de conseiller municipal d’Amiens concernant le projet de règlement particulier de police de la navigation dans les Hortillonnages, actuellement soumis à consultation publique jusqu’au 8 mai 2025.

Je tiens tout d’abord à souligner que je partage pleinement l’objectif de préservation de ce site exceptionnel et que je ne suis pas opposé à l’instauration d’un cadre réglementaire visant à garantir une cohabitation harmonieuse entre les différents usagers. Je comprends la nécessité de préciser les zones où la navigation est autorisée et celles où elle ne l’est pas, notamment dans les rieux privés, où le respect de la propriété doit être assuré.

Cependant, je souhaite attirer votre attention sur le principe constitutionnel de libre circulation sur les voies d’eau non domaniales. L’article L. 214-12 du code de l’environnement garantit expressément « la libre circulation des engins nautiques de loisir non motorisés sur tous les cours d’eau », sous réserve des nécessités de police administrative. Cette liberté, ancrée dans la qualification des cours d’eau non domaniaux comme res communis (bien commun) selon l’article 714 du code civil, ne peut être restreinte que pour des motifs impérieux liés à la sécurité ou à l’environnement. Or, les paddles et kayaks, par leur absence de motorisation et leur faible impact sur les berges, ne justifient pas une interdiction générale.

La jurisprudence administrative rappelle régulièrement que les restrictions doivent être proportionnées et spécifiques. Une interdiction uniforme, sans distinction entre zones sensibles et corridors navigables, serait dès lors susceptible de recours devant le tribunal administratif pour atteinte excessive à la liberté de circulation.

Je souhaite également souligner qu’aucune discussion préalable n’a eu lieu au sein du conseil d’Amiens Métropole entre élus sur ce sujet, alors même que ce règlement aura un impact direct sur la vie de nombreux habitants et sur l’attractivité de notre territoire.

Concernant les impacts sociétaux d’une telle interdiction, je dois vous alerter sur ses conséquences discriminatoires. Limiter la navigation aux seules embarcations louées ou encadrées par des structures commerciales ou associatives reviendrait à exclure une large partie de la population, notamment les jeunes de 18-25 ans (75% selon une étude VNF de 2024) et les familles aux revenus modestes qui n’ont pas les moyens de recourir à des prestataires privés. Cette restriction renforcerait le sentiment d’injustice et d’exclusion, alors que l’accès libre et gratuit aux espaces naturels constitue un principe fondateur de notre modèle républicain et un levier d’inclusion sociale.

Plutôt qu’une interdiction générale, je me permets de vous proposer des mesures alternatives qui permettraient de concilier préservation du site et accès équitable. L’instauration d’un système d’immatriculation gratuit, sur le modèle du lac d’Aiguebelette mais sans redevance, permettrait d’identifier les usagers via un numéro visible et de diffuser une charte de bonne conduite. Cette mesure, prévue à l’article R. 4241-68 du code des transports, n’engendrerait aucun coût pour les usagers tout en responsabilisant les pratiquants.

Par ailleurs, une interdiction de navigation de 20h à 8h pourrait être instaurée pour protéger la faune, à l’image de ce qui existe déjà sur le bassin d’Arcachon dans les zones de nidification identifiées par le Conservatoire d’espaces naturels. De même, l’interdiction d’utiliser les pagaies pour se propulser en s’appuyant sur les rebords des rieux constituerait une mesure proportionnée pour préserver les berges.

Je souhaite également rappeler que le code général de la propriété des personnes publiques interdit toute occupation privative du domaine public sans contrepartie d’intérêt général. Or, limiter la navigation aux loueurs agréés reviendrait à privatiser de fait l’accès à ce patrimoine commun.

Enfin, et sauf erreur de ma part, je constate qu’aucun schéma directeur d’utilisation des plans d’eau n’a été mis en consultation, comme l’exige pourtant la circulaire n°75-123 du 18 août 1975. Cette carence nourrit les conflits entre usagers et riverains. La publication d’une cartographie officielle des rieux domaniaux et privés, ainsi que le retrait des panneaux d’interdiction illégaux installés par certains riverains, contribueraient grandement à l’apaisement des tensions.

En conclusion, je vous propose d’envisager un moratoire de quelques mois pour affiner la réglementation dans le respect du droit et des aspirations citoyennes. Une régulation fondée sur la pédagogie plutôt que l’interdiction permettrait de concilier préservation et accessibilité, tout en évitant les risques de contentieux administratifs.

Je vous remercie de l’attention que vous porterez à ces observations et reste à votre disposition pour tout échange complémentaire sur ce sujet qui me tient particulièrement à cœur.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Préfet, l’expression de ma haute considération.

Renaud Deschamps
Conseiller municipal d’Amiens