La gratuité totale des transports en commun à Amiens est un sujet qui fait débat. Si l’idée peut sembler séduisante de prime abord, mon analyse et mon observation révèlent de nombreux écueils qui me poussent à m’y opposer et à ne pas la proposer dans mon programme électoral.

Un système déjà solidaire et accessible

Amiens dispose déjà d’un réseau de bus qui prend en compte les réalités socio-économiques de ses habitants. La tarification solidaire basée sur le quotient familial permet aux plus modestes de bénéficier de réductions allant jusqu’à 100% sur leurs abonnements. De plus, la gratuité le samedi, instaurée il y a quelques années, offre à tous la possibilité de se déplacer librement en fin de semaine. Ces mesures ciblées répondent en partie aux besoins de mobilité des plus fragiles.

Le financement des transports à Amiens est une question complexe

Pour bien comprendre les enjeux de la gratuité des transports à Amiens, il est essentiel d’examiner leur mode de financement actuel. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce ne sont pas principalement les usagers qui financent le réseau de bus amiénois.

Le versement mobilité, une contribution des entreprises implantées sur notre agglomération amiénoise, est la principale source de financement de nos transports en commun. À Amiens Métropole, toutes les entreprises de 11 salariés et plus sont assujetties à cette taxe, calculée sur la masse salariale (c’est à dire le cumul des rémunérations brutes des salariés de l’établissement, hors cotisations patronales). Après avoir été fixé à 1,8%, le taux actuel est de 2,0% pour notre agglomération depuis le 1er janvier 2023, ce qui représente une contribution significative pour nos entreprises locales. Cette augmentation de 0,2 points a généré 4 millions de recettes supplémentaires au Budget Transport (qui est un budget distinct du budget général métropolitain).

En 2023, le versement mobilité a rapporté environ 30 millions d’euros à Amiens Métropole, soit près de 60% du budget total des transports en commun. Les recettes des usagers, pour ceux qui payent et ne sont pas soumis à la gratuité de part leur quotient familial, ne représentent qu’environ 15% du financement, soit environ 7,5 millions d’euros. Le reste est complété par des subventions de la collectivité mère, Amiens Métropole.

Le document budgétaire d’Amiens Métropole pour 2024 mentionne que pour l’année 2024, le produit du versement mobilité est attendu en hausse de 2,4% (+1,1 M€) par rapport au budget primitif 2023.

Il est important de noter que les impôts fonciers des Amiénois ne contribuent pas directement au financement des transports en commun. Cependant, les subventions de la collectivité proviennent du budget principal….alimenté en partie par les impôts locaux, dont la très majoritaire taxe foncière, payée uniquement par les propriétaires.

La mise en place d’une gratuité totale impliquerait donc de compenser les 7,5 millions d’euros de recettes usagers. Cela pourrait se faire soit par une augmentation du versement mobilité, pesant davantage sur nos entreprises, soit par une hausse des subventions de la collectivité, ce qui pourrait impacter d’autres services publics ou nécessiter une augmentation des impôts locaux.

Les effets pervers de la gratuité généralisée

L’expérience d’autres villes ayant opté pour la gratuité totale met en lumière plusieurs problèmes que je ne souhaite pas voir apparaître à Amiens :

Surfréquentation et inconfort : La gratuité entraîne souvent une hausse significative de la fréquentation, notamment aux heures de pointe. Cette affluence peut rendre les trajets inconfortables et réduire la qualité du service que la collectivité doit s’efforcer d’améliorer.

Dégradations accrues : L’absence de contrôle des titres de transport peut conduire à une augmentation des incivilités et des dégradations du matériel, comme cela a été constaté dans certaines villes ayant opté pour la gratuité. Par ailleurs, un vieux dicton rappelle que « ce qui est gratuit » n’a pas de valeur » pour ses usagers. On constate héla et en effet des dégradations plus rapides là où le service est gratuit.

Impact sur le commerce de proximité : La gratuité totale pourrait inciter les Amiénois à se rendre plus facilement vers les zones commerciales périphériques de Glisy, Dury et Shopping Promenade, au détriment de notre centre-ville commerçant. Selon une étude de la Fondation Jean-Jaurès, ce phénomène met en danger notre commerce de proximité, alors que l’idée initiale de la gratuité le samedi était justement de le revigorer. Nous devons être vigilants à ne pas fragiliser davantage notre tissu commercial local, auquel je suis particulièrement attaché.

La santé publique en jeu

Un aspect souvent négligé dans ce débat est l’impact sur la santé publique, en particulier celle de nos jeunes et adolescents . En rendant les bus gratuits pour tous, y compris les collégiens et lycéens, nous risquons d’encourager la sédentarité et de contribuer à l’augmentation de l’obésité chez cette population.

Les chiffres sont alarmants : en France, 17% des enfants de 6 à 17 ans sont en surpoids, dont 4% sont obèses. Plus inquiétant encore, un enfant d’ouvrier a 4 fois plus de risques d’être obèse qu’un enfant de cadre, soulignant les inégalités sociales en matière de santé.

La sédentarité, favorisée par l’utilisation excessive des transports motorisés pour de courts trajets, est un facteur majeur de cette épidémie. Je suis convaincu que nous devons encourager nos jeunes à marcher ou à faire du vélo pour leurs déplacements quotidiens, crucial pour leur santé.

Une alternative responsable et durable pour Amiens

Plutôt que de céder à la tentation de la gratuité totale, je propose, avec mon équipe d’Amiens au Coeur, de renforcer et d’optimiser notre système actuel, en mettant l’accent sur l’utilisation des parkings relais (P+R) qui sont actuellement sous-utilisés, notamment par les non-Amiénois qui cherchent à se garer en hyper-centre. Voici les mesures concrètes que nous souhaitons mettre en place pour Amiens :

Optimisation des parkings relais (P+R) : Nous devons encourager l’utilisation des P+R (signification : Park + ride) existants, particulièrement pour les personnes venant de l’extérieur d’Amiens. Ces infrastructures permettent de combiner facilement l’usage de la voiture et des transports en commun. Pour les rendre plus attractifs, nous proposons :

• Des tarifs combinés avantageux incluant le stationnement et les transports en commun pour la journée.
• L’amélioration de la fréquence des bus desservant ces P+R, notamment aux heures de pointe. Lors des élections municipales de 2020, nous avions proposé des « Nemo Express ». Cette idée trotte toujours dans notre tête.
• L’installation de services additionnels dans les P+R : bornes de recharge électrique pour les voitures afin de retrouver sa voiture chargée le soir, abris sécurisés pour y laisser son propre vélo ou sa trottinette, voire des services de conciergerie.
• Mise en place d’un système d’information dynamique indiquant la disponibilité des places dans les P+R et le temps de trajet comparé entre l’utilisation du P+R et la conduite jusqu’au centre-ville.
• Création de véritables pôles d’échanges multimodaux autour des P+R, facilitant les connexions entre bus, vélos et marche à pied.
• Programme d’éducation à la mobilité et de campagnes de sensibilisation et d’éducation sur les avantages de l’utilisation des P+R et des transports en commun, en partenariat avec les entreprises et les établissements scolaires.
• Développement d’un réseau de pistes cyclables et de voies piétonnes sécurisées reliant les P+R au centre-ville, encourageant ainsi l’utilisation de modes de transport actifs pour les derniers kilomètres.

En encourageant l’utilisation des P+R, nous pouvons considérablement réduire le nombre de voitures entrant dans le centre-ville. Cela permettrait de libérer de nombreuses places de stationnement en ville pour les Amiénois (ma priorité), de réduire les embouteillages et d’améliorer la qualité de l’air. De plus, les usagers des P+R bénéficieraient d’un gain de temps et d’une réduction du stress lié à la recherche de stationnement en centre-ville.

Ces mesures permettront d’atteindre nos objectifs de mobilité durable sans compromettre la qualité du service ni l’équilibre financier du réseau, tout en favorisant la santé de tous les Amiénois et en rendant notre centre-ville plus agréable et accessible.

Conclusion : Une approche équilibrée pour Amiens

La gratuité totale des transports à Amiens serait, j’en suis convaincu, une erreur coûteuse et contre-productive. Amiens Métropole mérite une politique de mobilité ambitieuse, réaliste et financièrement responsable. L’approche équilibrée que nous proposons à Amiens au Coeur permet de maintenir un service de qualité tout en préservant la compétitivité de nos entreprises et l’attractivité de notre territoire.

En encourageant une mobilité diversifiée et active, nous améliorerons ensemble la santé de nos concitoyens, soutiendrons notre commerce local et préserverons notre environnement. C’est à cela que je m’engage personnellement pour faire d’Amiens une ville où il fait bon vivre, se déplacer et s’épanouir.